Pourquoi on devient psy…
Quand on est enfant, on n’a pas la chronologie du temps , c’est quelque chose qu’on doit nous apprendre et c’est parfois pénible à inculquer . Le parent ou l’éducateur utilise le langage métaphorique qui marche pas mal …encore 2 dodos et on ira à la mer …pour être demain il faut faire encore un grand dodo, sinon on est aujourd’hui . Ce matin quand tu es sortie de ton lit : on était aujourd’hui…et quand tu t’es mise dans ton lit avant de faire dodo, on était hier fouwww ………faut des neurones bien boostés pour expliquer ça.
Avant que cette précieuse faculté ne soit installée, tout est en vrac dans notre mémoire et particulièrement dans la mienne. Comme on me ballottait des Ardennes à la Capitale , une fois dans un sens , une fois dans l’autre, parfois pour des vacances scolaires durant lesquelles on ne savait pas quoi faire de moi … et aussi pour une raison qu’on n’arrivait pas à m’expliquer …certains disaient que c’est parce que ma maman était malade et qu’elle ne savait pas s’occuper de moi…alors d’autres me disaient que c’est parce que j’avais une santé fragile et que j’avais besoin du bon air des Ardennes. Moi qui n’ai jamais fait un rhum, ce genre d’explication me paraissait suspecte.
Le seul truc où je suis sûre d’avoir été malade c’est en voiture, car ça me valait à chaque fois une engueulade de mon père .
J’ai des souvenirs très précis, mais qui se tricotent les uns avec les autres .
J’ai le souvenir d’un très long trajet en train ou ma mémère est venue des Ardennes pour me chercher et me ramener chez elle…c’est mon papa qui lui a demandé de venir…Il paraît qu’on a mis 8 heures pour faire 200 km , on est montées mémère et moi dans 3 trains différents , dans un il faisait glacial , à un moment on a du aussi attendre 1 heure sur un quai de gare quelque part .
Ca devait se passer en 1945 plus ou moins …et à Gedine qui est à 30km de Alle on nous a dit que la « micheline » n’était plus en activité …alors ma grand-mère que rien n’arrête a téléphoné au boucher de Alle qui fait le taxi avec sa grosse voiture qui sent la vache . Mais arrivé à l’entrée du village, le pont de Alle avait été bombardé , alors le bouché a dit qu’on allait entrer dans l’eau avec la voiture , traverser à gué, mais il fallait que quelqu’un pousse et c’est là que j’ai vu ma grand-mère à pieds nus pour la première …elle a enlevé ses bas, elle a remonté sa robe et elle est entrée dans l’eau…je vous l’ai dit, rien ne l’arrête c’est une femme qui a vraiment beaucoup de ressources . Je me suis réfugiée sur l’accoudoir de la banquette arrière, car l’eau montait à l’intérieur de la voiture et je risquais de salir mes petits souliers blancs .
Je me vois aller à l’école de Madame Violette en tenant la main de mon petit cousin qui a 2 ans de moins que moi , nous sommes recouverts d’un petit tablier à carreaux bien propre qu’on nous change tous les jours ..et on a chacun dans notre petite poche 2 bombons pour la récréation de 10 heures . Moi je ne résiste pas , il faut que je les mange tout de suite sans quoi, je ne pense qu’à ça ! Et j’entends mon petit cousin Cricri me dire : « je vais le dire à Mémère «J’en ai déduit plus tard que le chantage est inné, c’est génétique » .
Si tu le dis, je ne jouerai plus avec toi, monsieur collant …pourquoi collant , parce que tout colle chez lui…sa bouche, ses mains et en plus il est toujours collé à moi, il veut faire tout comme moi…moi ça m’énerve, je suis fille indépendance.
J’ai des images où je vais à l’école avec Cricri, mais cette fois on porte notre cartable et il refuse de me donner la main et de toute façon nos chemins se séparent quand on arrive à hauteur de l’église …lui il part à droite à l’école des garçons et j’ai le sentiment qu’on s’amuse mieux à l’école des garçons qu’à l’école des filles.
En fait j’ai des souvenirs de 3e gardienne dans les Ardennes , mais à Bruxelles aussi , à l’école numéro 4 chaussée d’Ixelles .Puis en première primaire je ne suis plus dans cette école-là , mais je vais y revenir plus tard . J’ai deux groupes d’amies en même temps qui ne se connaissent pas …j’ai des amies qui ont des grosses joues rouges et des mains pleines de gerçures qui leur font mal …et mes autres amies dans mon autre école ont des cheveux bouclés avec des nœuds dedans ..Alors je fais la liaison en racontant les histoires des unes aux autres et comme ça j’ai toujours quelque chose à raconter …je suis un peu une vedette dans mes écoles .
Mais je ne vous ai pas encore parlé de mon papa que j’admire et qui pourtant s’est très peu occupé de moi . Il apparaît peu dans les mémoires de ma petite enfance . Quand il vient dans les Ardennes pour me déposer ou me reprendre , c’est un homme détendu qui va à la pêche et que tout le village appelle par son petit non . C’est l’enfant du patelin qu’est devenu un citadin qu’on estime.
Un vrai souvenir important avec mon père, c’est l’apprentissage des fractions . Pour la circonstance il a fabriqué un grand tableau noir qui a occupé le mur de la cuisine durant plusieurs années . Il m’a tellement bien expliqué les fractions que j’ai tout compris en une seule séance et par la suite le tableau n’a plus servi qu’à faire des dessins ou écrire des petits mots par lesquels mon père communiquait l’emploi de son temps à ma mère .
Il y avait comme qui dirait un peu d’eau dans le gaz entre eux. Mes parents étant plus à l’aise financièrement mon père ce un sanguin avait décidé de profiter de la vie …combien de fois n’ai-je pas entendu cette phrase …alors que ma mère se réduisait comme une peau de chagrin , son visage accusait la déception la colère sur les injustices de la vie …et surtout la colère sur la condition des femmes .
Je me souviens avoir marché longtemps dans la chaussée de Wavre à la recherche d’un artisan du bois qui avait été conseillé à ma mère .
Et je me souviens que nous étions toutes les deux dans le magasin devant un lourd lampadaire à colonnes torsadées encerclé d’un plateau rond et que vu le pris raisonnable qu’en demandait l’artisan , ma mère décida d’acheter le petit guéridon assorti . Tu vois fifille il est temps que je mette l’argent que je gagne à mon nom à moi , car bientôt nous serons à la rue …ton père à une poule. Et je me suis vue habitant à 4 dans une pièce vide : ma mère, le lampadaire, le guéridon et moi .
Puis l’ambiance est devenue plus calme à la maison …car ma mère avait changé de stratégie , ayant décidé de ne pas laisser sa place à une autre, elle allait se battre ! Et c’est ainsi que plusieurs fois par semaine je campais dans les escaliers pour les rendre coupables de me laisser à la maison alors qu’ils allaient s’amuser . Ma grand-mère maternelle que j’appelais bobonne et qui n’était pas si bonne que ça ! Occupait le rez-de-chaussée de la maison et elle me suppliait d’aller au lit, mais je n’en démordais pas, je voulais être présente à leur retour de guindaille. J’ai encore dans les yeux les visages composés qu’ils se fabriquaient instantanément en me voyant les attendre , alors qu’une seconde au paravent ils s’éclataient comme des baleines derrière la porte-cochère .
Cela a duré un an ou deux et puis tout est rentré dans un ordre acceptable , mais je ne sais pas à qui c’était dû …mon père était-il devenu moins volage…ou est-ce ma mère qui était sortie de sa torpeur de vierge effarouchée …allez savoir.
A l’époque de l’achat du lampadaire , ma mère faisait de moi sa confidente …actuellement je sais que c’est la pire chose que l’on puisse faire à son enfant …ça déstabilise tous les repaires et cela fixe un énorme sentiment d’impuissance et de culpabilité …on demande à l’enfant de donner des réponses alors qu’il ne sait même pas de quoi on parle .
Et c’est là un jour de saturation suivi d’un débordement que dans la cuisine entre la table et l’évier elle m’a dit en regardant le sol que mon père l’avait violée par terre pour la mettre enceinte et la garder près de lui. C’est pour comprendre qu’on devient psy …Merci la vie.